Le verre et le verbe hauts
Chronique de la victoire des Mages
De Houchang Golchiri
Lu en public en 1979 en Iran par son auteur, ce texté étincelant na été publié que dix ans plus tard. En Suède. Un détour qui indique comblen la «victoire des mages» reste problématique. Cette victoire est celle du vin, première des libertés. Et celle de la poésie: «Quand le poète parle du vin ou de léchanson, cest pour lutter contre lhypocrisie, pour démasquer les intégristes.» En débitant son alcool, Barât, le tavernier, manifeste le même héroisme tranquille quen renversant, seul, la statue du tyran. Interdire un jour le vin - cette «abomination des abominations, plus suave quun baiser sur la joue», selon Hâfez -, cest entasser des livres au milieu de la rue pour y mettre le feu le lendemain; cest jeter de lacide au visage des femmes le surlendemain et finir par crier, la halne aux lèvres: «Vive la mort! Vive le cimetière ! »
La victoire des mages serait celle des prêtres zoroastriens, celle de la Perse préislamique. Houchang Golchiri, lun des principaux écrivains iraniens contemporains, appelle à renouer avec ces antiques racines, avec Hâfez comme avec la tradition du conte politique. Il cherche les collisions entre la langue poétique et la gouaille populaire, parfois ambiguè, fomenteuse de révoltes et teniée de se dévoyer avec ses bourreaux. La vivacité de ses dialogues insolents et brefs a le goût dun alcool tiré sur le trottoir pour un peuple qui ne se poseralt dautre question, que morale et dont chaque verre aiguiseralt la lucidité: «Maintenant, je sais que lhistoire na pas de poubelle.»
(extract) Le Monde, 4 Juillet 1997 |
Houchang Golchiri, lexorciste
Le monde ne tourne pas rond... Tout était plus beau autrefois, quand la Terre était plate, quand le Soleil tournait autour delle, et les étoiles aussi... Au Moyen Age, la Terre était le centre de lUnivers, et cétait mieux ainsi... Pourquoi nous sommes-nous inclinés devant Copernic, Galilée et Kepler? Quest ce que lhumanité y a gagné? Rien de bon... Parce quil est déçu par son époque notre époque , un homme décide de défier les lois du cosmos et de revenir au temps davant. Il va sommer le Soleil de reprendre son orbite normale et la Terre sa forme initiale. Cet homme, cest le héros du dernier livre de lécrivain Houchang Golchiri, lun des plus grands intellectuels iraniens contemporains, défenseur acharné de la liberté dexpression à lépoque du chah comme à celle des ayatollahs (1), ce qui lui a valu de multiples emprisonnements et interpellations, ainsi quune interdiction totale de ses livres (une quinzaine) en Iran.
Lhistoire du monde qui ne tourne pas rond na pas encore été publiée. Elle sortira dans un premier temps (en persan) chez un petit éditeur en Suède, puis en France, si elle trouve preneur. Chacune des uvres de Houchang Golchiri emprunte de semblables chemins tortueux, dabord pour sortir dIran, ensuite pour être éditée dans un pays étranger.
En attendant de découvrir cet ouvrage monumental de 700 pages où il sera question de sorcellerie, damour brûlant, de sacrifice et dont lauteur dit quil a valeur dexorcisme , il ne faut pas manquer de savourer lune des rares uvres de Houchang Golchiri traduites en français: Chronique de la victoire des mages (2), une miniature persane (grâce notamment à la qualité de la traduction de Christophe Bala?). En 75 pages, lauteur fait vivre lhistoire de son pays en un moment crucial: les tout débuts de la révolution islamique, lenthousiasme et les désillusions dun peuple.
Déboulonnant, sur la place publique, la statue du tyran, puis continuant à servir du vin à ses clients, en dépit de la perspective du supplice, Barat le tavernier, personnage central de ce court récit très politique, fait preuve du même héroïsme paisible. Sa façon de braver les interdits, ses exhortations à la résistance, au refus de laveuglement et de la soumission, font écho à celles de Houchang Golchiri luttant sans relâche pour quon ne brise nulle part aucune plume pour délit décriture, que lon ninterdise pas le jeu des rêves. Car notre monde, sans ces rêveries, sans la danse des mots, sans le chur des lettres, ressemble, non pas à une tombe ou à une prison, mais simplement à un cur qui na jamais chanté un poème, ni écouté un conte, et na jamais pleuré la mort dun homme ou dune plante; pas même dans une histoire .
(1) Il a été lune des figures majeures de lAssociation des écrivains iraniens (Kânoun), qui sest battue pour un changement de lordre social et politique, avant dêtre interdite dès la première année de la révolution islamique, en 1981. Depuis, il na de cesse de la remettre sur pied.
(2) Houchang Golchiri, Chronique de la victoire des mages, traduit du persan par Christophe Bala?, LInventaire, Paris, 1997, 75 pages, 59 F.
F.B. Le Monde Diplomatique, Jan. 1998
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