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Houchang Golchiri: «Le réalisme nous est interdit»
Le romancier iranien relate les conditions de vie des écrivains sous le régime de la censure islamique
Houchang Golchiri (soixante ans) est lun des principaux écrivains iraniens contemporains. Il a publié une quinzaine de romans et de recueils de nouvelles, dessais et de poèmes. Son uvre, complexe, plonge profond dans le tissu littéraire et historique du pays. Il a été emprisonné à plusieurs reprises sons le régime du chah, lorsque commença sa lutte pour la liberté dexpression. Après la révolution islamique, lAssociation des écrivains iraniens (Kanoun-é-Nevissandegan), dont il est un des animateurs, sera dissoute. En 1994, il est signataire, avec cent trente-trois intellectuels (dont Faraj Sarkouhi, toujours en attente de jugement), de la lettre ouverte «Nous sommes des écrivains». Il sera interpellé en 1996 lors dune tentative de remettre sur pied lAssociation des écrivains. Il est lhôte pour quelques mois de la Fondation Heinrich Boell, en Allemagne, dou il est venu en France, piloté par RFI et son éditeur, Llnventaire. Il sexprime dune voix douce: «Merci à votre journal davoir publié un article sur Chronique de la victoire des mages (Le Monde du 4 juillet 1997), cest pour moi la meilleure assurance de rester en vie à mon retour.» |
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Comment fonctionne la censure en Iran?
- la période qui vient de précéder lélection de Mohamad Khatami (le nouveau président de la République) a été la plus noire pour les écrivains. Tous les textes - inédits ou déjà publiés auparavant - doivent passer deux fois devant la censure du ministère de la cultur et de lorientation islamique. La première fois pour lautorisation dimpression, la seconde, pour lautorisation de reliure. Après neuf ou dix éditions, mon roman Le Prince Ehtedjab (Lharmattan), publié sous le chah et réédité sous la République islamique, est bloqué par la censure. Imprimé depuis six ans, il est dans lattente du visa de reliure. De même quune anthologie de mes nouvelles. Pour dix lignes ou pour un mot, les censeurs demandent aux écrivains de reprendre leur texte. Leur unique objectif est de les humilier. A chaque passage, ils exigent quelque chose. Y compris pour des auteurs disparus comme Hedayat, dont La
Chouette aveugle a été rééditée avec des coupures qui la défigurent. |
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Existe-t-il des recours?
- Jai demandé à rencontrer le censeur. Jai été immédiatement apostrophé: «Nous savons bien que vous nêtes pas croyant!» Se taire devant une telle phrase, cest signer son arrêt de mort immédiat. Jai compris que jétais face à un policier qui ma signifié que mes textes navaient aucune chance de parvenir jusquau bureau du censeur. Jai quand même été autorisé à représenter un certain nombre dentre eux. Je les ai envoyés et nai jamais obtenu de réponse. Jen ai conclu quil ne me restait plus que la possibilité dêtre publié à létranger. |
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Comment faire sortir les textes?
- Le traducteur américain dun de mes romans raconte quil lui est arrivé par fragments et quil lui a fallu un moment pour découvrir quils formaient un tout. Un autre de mes textes est arrivé en Suède, où il a été traduit en persan après avoir été confié à un voyageur qui partait pour lEurope via lIrak (où il a été emprisonné, puis libéré). Une uvre contrainte à de tels détours nest plus lue de la même manière par un éditeur ou un lecteur. Ils lui donnent immédiatement un sens politique. Je ne considère pas mes textes comme des armes. Ils le deviennent à mon corps défendant, à cause des conditions dans lesquelles on me fait vivre. Seul un texte produit dans une liberté absolue peut être lu à son juste niveau.
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Comment font les jeunes écrivains?
- Dans un article publié par le journal Salam [gauche islamiste], je citais lexemple dun jeune dont le livre avait été tellement modifié quil avait renoncé à sa publication. Jécrivais : tuer un texte finalement, cest tuer lhomme en même temps. La censure est féroce : dans un récit où était écrit «les feuilles tombent à terre en dansant», le censeur a exigé que lon supprime «en dansant». Si lon écrit quune femme donne le sein à son bébé, cest assimilé à une incitation à la débauche. Toute affectivité dans les relations humaines est considérée comme perverse. Il ne faut pas décrire les gens comme ils sont, mais comme ils devraient être. Le réalisme nous est interdit.
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La censure sexerce-t-elle aussi sur les textes anciens?
- Un directeur de la censure a utilisé limage suivante : nous avons reçu en héritage une maison qui sappelle lIran. Cette maison a des toilettes. On a intérêt à ne pas toucher à ces toilettes si lon veut éviter que les mauvaises odeurs ne montent. On na pas touché aux classiques dans un premier temps. Maintenant, on les expurge. |
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Avez-vous été menacé physiquement?
- Depuis deux ans, je ne suis jamais sorti de chez moi sans étre accompagné. Mon quotidien est fait dappels menaçants au téléphone, de convocations aux renseignements. Avant mon voyage en Allemagne, jai été accusé despionnage pour le compte de la CIA sur les chaînes officielles de télévision. Pour preuve, on a dit que je pouvais quitter lIran par avion et y revenir, comme jai bien lintention de le faire. Conséquence de ce type de dénonciation publique: nimporte qui dans la rue peut mattaquer. Naturellement, celui qui me tuerait sassurerait le paradis. Je ne suis pas le seul à qui ça arrive. Je suis moins exposé parce que je suis plus connu. |
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Lélection de Mohamad Khatami vous laisse-t-elle espérer une évolution?
- Oui, il sest engagé à assurer louverture et on peut penser que cela se fera. Le chef du bureau de la censure avant son élection était fier de proclamer quil navait pas lu un seul roman avant daccéder à ce poste. Au moins un spécialiste de littérature lirait nos uvres avec justice. Cela ne résoudrait pas le problème, bien sûr. Le seul moyen de le résoudre est que tout texte soit publié tel quel, et quaprès seulement, sil se révèle délictuel, on juge celui qui la écrit. |
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Y a-t-il des voix prêtes à défendre Salman Rushdie?
- Il faut parvenir auparavant à une situation où léthique religieuse ne pèse plus sur léthique du roman. Le texte de Rushdie na pas été correctement lu. Il faut le lire avec les critères qui sont ceux de la tradition littéraire mondiale. On en est loin. Actuellement, on ne peut même pas parler normalement des Mille et Une Nuits, de Madame Bovary ou de Guerre et paix. Quand on veut déconsidérer un écrivain, on laccuse dêtre un nouveau Salman Rushdie. Il y a un grand Salman Rushdie, mais il y a beaucoup de petits Salman Rushdie en Iran qui sont aussi menacés que lécrivain anglais. Nous voulons être évalués avec les mêmes critères que les écrivains en Occident. Mais on analyse nos uvres à partir de critères qui serviraient pour des auteurs du XIX comme Balzac. Alors que nous vivons notre temps meme si nous avons par ailleurs des problèmes politiques qui nous ramènent à votre XVl siècle. Tenez, voilà un sujet de récit en soi: un homme de mille ans qui vit aujourdhui.
Le Monde, 26 Septembre 1997
Propos recueillis par Jean-Louis Perrier
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"Ecrivain en Iran, La Condition inhumaine, Jean-Pierre Perrin, Liberation, 23. Sept. 1997 |
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